Guy de Cointet & Robert Wilhite

Ethiopia

Cousins Peter and Tom and their niece Julia meet at their late grandmother’s house. They tell special stories about the objects they find there.

Artists Guy de Cointet and Robert Wilhite collaborated on the theatrical performance Ethiopia, which premiered in Los Angeles in 1976. It is significant for being Guy de Cointet’s first and arguably the most elaborate stage production. This first of four collaborations is inspired by the influences of both artists, whose roots lie in Surrealism, De Stijl and Futurism. The piece consists of three movements and three sets, each with multiple abstract and musical props that interact with the rich script and culminate in a surprising understanding of the array of presented sounds, shapes and colourful objects.

After a 45-year silence, Ethiopia is being revived in a French-language version directed by Anne Frèches. Together with a contemporary cast, her fresh interpretation breathes life into the play. Frèches re-examines the gestures and the ‘activation’ of the props that influence the text. She reinterprets the composite text that mixes the characters’ dialogue with fragments originating from Sacher Masoch, Walter Scott, Jules Verne or a Life magazine article from 1945.

ETHIOPIA
de Guy de Cointet et Robert Wilhite (1976), re-création en version française, 2021

Conversation entre Anne Frèches et Hugues Decointet,
Les Lilas (Paris), le 28 octobre 2021.


DECORS

H-: Dès le début du projet, les questions qui se sont posées ont concernées le décor, avant même celles sur le texte ou les comédien.ne.s... Des questions liées au budget, bien sûr, mais aussi au "statut" du décor. Peut-on utiliser le décor original de 1976 (conservé au Mamco de Genève en tant qu'oeuvre). Peut-on construire une réplique du décor? De l'ensemble ou de seulement certains éléments?... J'avais aussi fait la maquette d'un décor constitué d'un fond en photographie et d'objets les plus praticables fabriqués en volumes...

Mais toi, quelles ont été tes impressions quand tu as découvert le décor original au Mamco?

A-: Sa beauté... le magnétisme des objets, avec leurs couleurs mates... Refaire l'ensemble des objets est apparue aussitôt comme une évidence...

H-: ...fabriquer une réplique complète à l'identique. Le Cône, par exemple, avec la même technologie "fait main" que celle utilisée par Robert Wilhite quarante cinq ans plus tôt: une armature en bois sur laquelle s'enroulent des feuilles de métal inox...

A-: ...la mieux adaptée à l'acoustique...

H-: Pour la réplique de la Lettre de Peter, plutôt qu'un objet imprimé, j'ai préféré redessiner à la main le motif typographique original et le peindre à l'aide de rubans de masquage: en les décollant j'avais l'impression de découvrir un hiéroglyphe...

A-: ...on sent qu'un tel objet a une présence plus forte qu'une reproduction.

H-: On a veillé à la légèreté des objets, afin qu'ils soient facilement manipulables. Leur poids est plus léger parfois que ce que leur volume laisserait supposer!

A-: L'oeuvre de Guy de Cointet, finalement, c'est le décor et le texte. Un fond photographique était une idée nouvelle par rapport à la version historique, mais les objets en volumes apportent plus de possibilités de jeu, de manipulations...

H-: ...Yann fait tourner le Cône sur lui-même, faisant découvrir une autre face de l'objet au public...

A-: Lors des répétitions, quand il "bloquait" sur une scène, c'est grâce au travail avec l'objet qu'il a pu trouver des "portes d'entrée" pour dire le texte. L'objet est un personnage, un partenaire...

H-: ...Chloé ne se contente pas de montrer du doigt la Lettre de Peter, pourtant un simple tableau, mais elle a besoin de la saisir et la serrer contre elle!


SCENE

H-: Tu as opté pour une salle nue, sans scène, sans rideau, et pour un enchaînement des trois actes sans passage au noir, sans complets changements de décor. Est-ce que cette décision est liée aux repérages des salles de représentations aux Laboratoires d'Aubervilliers ou au Stuk de Leuven?

A-: Ce choix vient d'abord de mon apprentissage du théâtre avec Stuart Seide (1) (qu'ont recu également Yann et Chloé à l'Ecole du Nord, mais aussi Roberto au TNS.). Un travail sans rideaux, sans costumes, sans coulisses... Faire avec ce qui est là au moment où l'on joue, chaque acteur attentif au travail de l'autre... Les acteurs sont eux-mêmes spectateurs, et les spectateurs assistent à la fabrication de l'objet théâtral... A l'opposé du théâtre de Joël Pommerat, par exemple, qui est un "théâtre d'apparitions", très précis, aux effets parfaitement maîtrisés, exigeant des moyens techniques importants...

H-: ... comme Robert Wilson?

A-: L'approche de Pommerat est plus cinématographique, ses pièces sont comme un montage, avec des transitions d'une grande perfection... Moi, comme spectatrice, je préfère voir les chose se faire, voir par exemple les acteurs se maquiller, comme au Théâtre du Soleil (2): une expérience commune partagée entre spectateurs et acteurs. Je préfère écarter le "faire semblant", les artifices.

H-: Le nombre, la taille et l'emplacement des objets sont très précis chez Guy de Cointet. Ton choix de l'accumulation progressive des éléments m'inquiétait un peu... je craignais que les trois décors ne se gomment, se brouillent au fur et à mesure des trois actes...

A-: En fait, les formes des objets et leurs emplacements s'emboîtent d'un acte à l'autre. L'acte 1 tout en à-plats verticaux et horizontaux, en arrière et en avant-scène; l'acte 2 fait d'un grand nombre d'objets en volumes, au centre de la scène; et à l'acte 3, de peu d'éléments, disposés vers l'extérieur, laissant visibles les décors précédents.

H-: La scène finale, rassemblant tous objets des trois actes, a une forte présence.


TRANSITIONS

A-: Les transitions entre les actes et les changements de décors, que je souhaitais visibles, m'ont davantage préoccupée! Je voulais que les comédien.ne.s apportent de la présence et du "non-joué", puissent produire un "effet de réel", ce moment où le public ne distingue plus très bien si le comédien joue un rôle, s'il est son personnage ou lui-même...

Les comédien.ne.s ont réalisé un gros travail d'improvisation basé sur trois grands axes : le rituel, le musée et la question théâtre ou performance. Ce travail leur a permis de se construire un imaginaire et un relationnel commun à tous les trois, une complicité perceptible...

H-: ...une complicité qui créée des situations nouvelles par rapport à la pièce historique. Par exemple dans la scène des Rochers Rouges, Roberto parvient à impliquer ses partenaires alors qu'il s'agit d'un monologue...

A-: ...Après tout, ils sont censés être cousins, avoir des souvenirs d'enfance en commun dans cette maison!.. En même temps, je souhaitais instaurer là une gestuelle de soin et de respect envers les objets, comme avec des objets muséaux précieux... De l'adresse et de la fluidité...

H-: ...une forme de rituel qui concentre l'attention du public sur chaque objet...

A-: ...qui n'est qu'une réplique, mais à manier avec autant d'attention qu'un Léonard de Vinci!


DIRECTION

H-: Lors des répétitions de "Tell Me" (3), tu avais évoqué la difficulté pour l'actrice d'apprendre le texte de Guy de Cointet, l'impossibilité pour elle de s'appuyer sur son personnage...

A-: "Ethiopia" est moins dialoguée que "Tell Me", il subsiste de longs monologues hérités des pièces courtes antérieures... Les comédien.ne.s ne peuvent pas s'engouffrer dans la porte facile et efficace du Théâtre de Boulevard permise par "Tell Me"!.. Pour aborder un rôle, ils ont habituellement besoin de se positionner, de comprendre où ils sont, qui ils sont, ce qu'ils font... Chez Guy de Cointet, l'actrice ou l'acteur doit être capable de mettre le texte en avant, lui faire confiance, se laisser porter et laisser le public prendre sa part du texte et des images...

H-: On sait que le texte est composé en partie d'extraits empruntés à d'autres auteurs, et présente donc des styles différents. N'est-ce pas aussi parfois le texte qui dicte la manière dont il doit être dit ?

A-: Oui... se laisser porter par le texte... Alors qu'au théâtre, classiquement, il faut "s'emparer" du texte, le ramener à soi: ici, c'est tout l'inverse, on apprend le texte, et ensuite, on le donne! Celà nécessite un important travail d'apprentissage, privé de points d'accroches ou d'éléments de logique habituels qui aident la mémoire.

H-: Le personnage n'incarne pas son texte?

A-: Il n'a pas de position stable: par moment sa voix incarne le texte; puis le texte prend le devant; par moment il peut jouer totalement avec la complicité de ses partenaires; puis arrive un monologue intérieurisé comme une contemplation face à une oeuvre d'art...

H-: Dans la scène des Rochers Rouges, l'étrangeté vient du récit au passé, à la troisième personne du singulier, scène qui en même temps très jouée, au présent...

A-: On est dans un espace artificiel, à l'intérieur duquel on crée des moments de réel et de présent...


MUSIQUES 1

H-: Une particularité d'"Ethiopia" est la présence d'objets musicaux. Il y a cette longue scène de la Chanson Japonaise, où l'on assiste à une danse primitive...

A-: C'est une scène chère à Robert Wilhite. Il souhaitait une atmosphère en rupture avec celle, assez harmonieuse, du reste de la pièce: une scène chaotique, dérangeante, dissonante, plus bruitiste que musicale. Un moment d'improvisation et d'énergie, plus "performé" pourrait-on dire. Quand les trois personnages chantent ensemble, ils connaissent les mêmes paroles: c'est une trace de leur lien familial. L'improvisation de jeux avec les objets musicaux les réunis aussi... En même temps, ils se laissent porter par les possibilités gestuelles et sonores des instruments... Les secousses de Chloé pour faire sonner la Boule semblent l'amener à sa danse endiablée...

H-: ...improvisations renouvelées à chaque performance?

A-: Oui, ça n'est pas écrit, il n'y a pas de partition. Mais les temps musicaux sont précis, chacun sait à quel moment il joue de son instrument, accompagne, chante... C'est assez précis et en même temps il y a une part d'aléatoire...

H-: ...les instrument ne sont pas accordés, leurs volumes ne sont pas calés... Les sons restent hasardeux, instables, délicats à obtenir, comme ceux des anches de bourdon en roseaux pour cornemuse, reliés à un aspirateur, dans le Cube Bleu! Une autre performance...

A-: ...exécutée très sérieusement... même si le son surprenant peut produire un effet comique.

H-: Pour la "Petite Usine", tu as opté aussi pour un son direct, en introduisant un vieux poste de radio à même l'objet sur scène et non en régie...

A-: L'utilisation d'une véritable radio branchée en direct au moment de la performance était une proposition de Robert Wilhite: les volumes sonores, la recherche aléatoire des stations, les styles d'émissions captées (musiques, chansons, actualités, publicités...), varient à chaque performance.

C'est aussi un clin d'oeil aux années soixante-dix, années de la création originale.


LUMIERES

H-: Dans son théâtre, Guy de Cointet utilise l'extrait de texte littéraire comme "signe", à reconnaitre (ou pas), d'une pièce à l'autre, comme par exemple une citation de "La Vénus à la Fourrure" de Sacher-Masoch(4) présente dans "Ethiopia", mais aussi dans "Huzo Lumnst"(5) ou "Oh, A Bear!"(6). De même que certains objets, aussi, font signe à travers les pièces, je trouve intéressant l'utilisation de la couleur comme signe à rebours de "Five Sisters"(7)...

A-: Les formes nettes et anguleuses des objets, comme La Maison ou Le Tapis, se prêtent bien à un travail de découpes de lumière qui surlignent leurs graphismes...

H-: La lumière rouge projetée sur les Rochers est comme une couche de couleur en plus, commandée par le texte!..

A-: ... La lumière bleue forme un tableau monochrome en arrière-plan...

H-: ... une magie théâtrale, paradoxale pour une scène dépouillée des codes du théâtre!


MUSIQUES 2

H-: J'ai retrouvé cette description, dans "Impressions d'Afrique" de Raymond Roussel(8), qui aurait peut-être inspiré le Cube Bleu et ses roseaux de cornemuse... Ecoute :

" Son dolman bleu (9) (...) était orné, sur la droite, d'aiguillettes d'or fines et brillantes; c'est de là que partait le discret accord entendu jusqu'alors (...) produit par la respiration même de la jeune femme grâce à une communication chirurgicale établie entre la base du poumon et l'ensemble des ganses recourbées servant à dissimuler de souples tubes libres et sonores. (...) A chaque contraction du poumon une partie de l'air expiré passait par les conduites multiples et, mettant les lamelles en mouvement, provoquait une harmonieuse résonance."

Anne Frèches, comédienne et musicienne, est metteure en scène de la re-création d'Ethiopia;

Hugues Decointet, artiste plasticien, est coordinateur de la re-création pour Guy de Cointet Society.



(1) Stuart Seide (né en 1946 à New-York) est acteur, metteur en scène et professeur, fondateur en 2003 de EPSAD, école du Théâtre du Nord, à Lille.
(2) Le Théâtre du Soleil a été créé à l'initiative d'Ariane Mnouchkine en 1964, et est installé depuis 1970 à la Cartoucherie de Vincennes (Paris).
(3) "Tell Me", pièce de Guy de Cointet (1979), re-création en 2018.
(4) "Je me sens dans un état étrange en écrivant... Je n'écris pas avec de l'encre ordinaire. C'est un sang vermeil qui coule de mon coeur. Ses blessures cicatrisées depuis longtemps se sont
réouvertes. Il palpite et souffre, et de temps à autre, une larme tombe sur le papier..."
(5) "Huzo Lumnst", pièce de Guy de Cointet (1973), re-création en 2012.
(6) "Oh, A Bear!", pièce de Guy de Cointet (1978).
(7) "Five Sisters", pièce de Guy de Cointet (1982), re-création en 2011.
(8) "Impressions d'Afrique" de Raymond Roussel (1910), Jean-Jacques Pauvert, 1963.
(9) L'auteur décrit la tenue d'un personnage, Louise Montalescot.

Directed
Anne Frèches
Performance
Chloé André, Roberto Jean en Yann Lesvenan
Production
Guy de Cointet Society, in samenwerking met Robert Wilhite
Executive production
Entre2prises (FR)
Co-production
Playground (STUK & M, Leuven)
With the support of
Les Laboratoires d'Aubervilliers (FR) and STUK Leuven (BE) Courtesy of MAMCO (CH-Geneva) and Air de Paris (FR-Romainville)
Courtesy of
MAMCO (CH-Geneva) and Air de Paris (FR-Romainville)
Re-creation in French from the original English version (1976)
  • Thu 11 Nov
  • 21:00 - 22:00
Afgelopen
  • Fri 12 Nov
  • 20:00 - 21:00
Afgelopen

Locatie

STUK Labozaal

Prijs

€ 12 (standard)
€ 8 (reduction)

Duration

50'